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La moraline
15 septembre 2013

De nouvelles connexions pour l’amour

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Avec Élise, j’ai découvert avec émerveillement le MuCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) écrin cubique au mur de dentelle de béton noir se détachant sur un ciel d’azur et une mer turquoise. Œuvre d’art à lui seul, ce musée nous a bouleversé de par le sentiment esthétique qui s’en dégage.

C’est au bazar du genre, un espace dédié à l’évocation des nouvelles aspirations des individus dans le choix de leur sexualité, de leur conjoint, de leur mode de vie et pourquoi pas de leur genre… que nous nous sommes arrêté sur les nouveaux moyens de communication qui débouchent sur la mise en relation des individus… de tout genre.

Je me souviens alors en découvrant l’exposition, d’une période de ma vie, d’il y a bientôt trente ans (ouah, que le temps passe vite), où le soir en sortant du travail, je me dépêchais de rentrer chez moi, afin de retrouver un appareil qui, jusque-là, ne me servait pas à grand-chose. Je m’explique. Après avoir garé ma voiture au sous-sol, je faisais une halte au rez-de-chaussée afin de relever l’éventuel courrier qui m’y attendait. Parmi les divers prospectus se trouvait un hebdomadaire en papier journal de mauvaise qualité où se mélangeaient des offres et des demandes diverses et variées. Une fois installé confortablement dans mon canapé, j’entrepris une lecture somme toute en diagonale de cette feuille de chou. Ayant le statut de célibataire, je marquais une attention particulière aux propositions de la gent féminine en quête du prince charmant. Une courte annonce perdue au milieu des caractères d’imprimerie attira mon attention. Je ne me souviens plus exactement de l’intitulé, mais pour vous donner une idée elle vantait, en une ou deux micros lignes, la possibilité de mettre en relation des individus éprouvant le besoin de faire entendre leurs desiderata. Un simple numéro sans surtaxe était affiché. De nature curieuse, je le composais. Des hommes envoyaient des messages plus ou moins explicites. Il était devenu une règle de présenter son prénom suivi de son numéro de téléphone très rapidement dans l’embouteillage des demandes qui saturaient la ligne. Au bout de trois ou quatre minutes, la communication se coupait d’elle-même (la plate-forme n’autorisant qu’une quinzaine de participants). Il fallait, surtout à certaines heures (particulièrement en début de soirée), s’armer de patience pour avoir la chance de « remonter » et de pouvoir de nouveau lancer son « Patroc appelle! »

Une voix féminine se risquait de temps à autre à s’immiscer dans le flot continu des demandes. En fonction des individus présents, la conversation pouvait prendre une tournure bonne enfant. Mais il ne fallait pas se méprendre, la rencontre était l’objectif premier des participants du genre masculin. L’hypocrisie des propos tenus frisait le surréalisme.

Le genre féminin se contentait le plus souvent d’une écoute attentive très discrète. Si une voix masculine inspirait une auditrice, celle-ci attendait patiemment que la communication se coupe, pour effectuer le numéro de l’élu du moment.

Avec le temps, je me forgeais une certaine expérience en écoutant le vocabulaire utilisé, l’intonation des voix, le rythme des demandes. Je compris qu’il fallait entre deux appels, laisser le combiné posé sur son socle un certain moment. Bien m’en a pris d’avoir compris cela, car la sonnette, ô combien désagréable de l’appareil à cadran, se mit à retentir. Je ne me souviens plus du contenu de cette première fois, mais j’étais flatté qu’une femme ait choisi ma voix parmi les dizaines qui s’exprimaient sur le réseau. C’était comme cela que les utilisateurs appelaient cette sorte de plateforme qui était issue, selon l’explication d’un grand nombre de ces derniers, de l’horloge parlante ! La rumeur – puisque je n’ai pas de preuve – qui circulait, disait qu’à une certaine heure, lorsque les personnes souhaitaient connaître l’heure par le biais de l’horloge parlante, pouvaient converser entre elles, pendant que l’automate égrainait le temps qui filait. France Télécom aurait au bout d’un certain temps, mis un terme à cette pratique tout en mettant à disposition un numéro de téléphone permettant au public de se rejoindre.

Un peu comme une drogue, je m’enfermais dans la pratique quotidienne de l’appel téléphonique.

J’ai découvert un soir ce qu’était l’amour par le biais du téléphone. Une charmante voix féminine m’a emmené vers cette contrée de l’amour presque virtuel avec une inconnue. Elle semblait sincère et je le sus plus tard, elle l’était. Étrange sensation que de pouvoir, simplement par l’écoute d’une parfaite inconnue, doucement glisser vers l’imaginaire en prenant soin de ses attentes par un jeu de questions/réponses la conduisant doucement vers la jouissance qui ne manquait pas de déclencher la mienne. Quelque temps plus tard, j’ai pu mettre un visage sur cette voix. Au cours d’une conversation plus ordinaire, je lui ai proposé de l’inviter dans un restaurant. Répondant par l’affirmative, nous avons fixé un lieu de rendez-vous. Mon imagination marchait à plein rendement. Comment allait-elle être physiquement ? Que recherchait-elle réellement ? Y avait-il un piège (mon petit côté parano) ? Au numéro de la rue indiqué, ce trouvait une très belle femme. Mon trouble était si fort que j’ai failli lui dire bonjour madame lorsque je l’ai abordé (elle avait les traits et le physique de Mireille Darc). Le souffle coupé, j’ai tenté de ne pas faire remarquer mon émoi. Nous avons diné et je l’ai raccompagné à son domicile (qui était celui de son frère). Elle avait bu plus que de raison. L’envie d’avoir une aventure sexuelle avec cette charmante personne (qui avait une bonne dizaine d’années de plus que moi) me taraudait l’esprit, mais je ne souhaitais pas abuser de cette situation si particulière pour arriver à atteindre cet objectif (et oui, je sais, il m’arrive d’être un garçon bien).

Le lendemain, je m’enquérais de son état de santé. C’est son frère qui me répondait. Il était très étonné qu’un célèbre inconnu prenne des nouvelles de sa sœur, les autres hommes s’en fichaient éperdument. Brièvement, il m’expliqua que sa sœur effectuait des rencontres et qu’à cette occasion, elle buvait beaucoup, ce qui n’était pas compatible avec le traitement qu’elle prenait. Véritablement inquiet, je lui demandais de bien vouloir lui rapporter mon appel. Ce qu’il fit apparemment, puisque la belle a souhaité, touchée par mon attention, me revoir. Nous avons passé un week-end à Honfleur. Nous avons commencé à construire une petite relation, qui n’alla pas bien loin. Ses désirs ne correspondaient pas aux miens… L’établissement d’une vie de couple n’était absolument pas dans mon projet de vie. Ayant mis (approximativement) deux années à me remettre d’une séparation, je me mettais et je n’ai pas honte de l’écrire, de nouveau en route vers des rencontres en tout genre avec des personnes du sexe opposé au miens. Retrouver ce plaisir qui m’avait tant fait défaut était mon credo du moment. Je vous fais l’économie de la dizaine (centaines pour être honnête) de conversations téléphoniques et des milliers de francs de factures qui venaient assombrir l’éclaircie libidineuse qui emplissait ma vie d’alors.

Il n’y avait pas que du bonheur dans cette aventure. Nombreuses étaient les jeunes femmes qui étaient prêtes à coucher avec le premier venu pour combler une solitude trop forte à supporter. Je me souviens d’une conversation avec une très jeune femme qui m’avait ému. Elle avait « balancée » son numéro de téléphone sur le réseau. En agissant de la sorte, elle était certaine de recevoir un appel dans la seconde. Et ce fut moi l’heureux élu, enfin, heureux d’avoir au bout du fil une voix féminine. Cette satisfaction fut éphémère. Sa demande se faisait pressante. Elle voulait me rencontrer le soir même. Pourquoi pas, mais des indices me laissaient croire que son empressement à me rencontrer n’était pas simplement lié à une libido en ébullition. J’entendais dans le combiné, des personnes qui l’empressaient de raccrocher. J’orientais alors mes questions sur le lieu de son appel. Gênée, elle restait évasive, jusqu’au moment ou une autre voix féminine lui enjoignait de laisser la cabine téléphonique libre. Nous convenons qu’elle me rappelle plus tard. Ce qu’elle fit. Cette personne était prête à tout pour se sortir de sa condition. Sans travail, elle était prise en charge dans un centre d’hébergement. Elle ne supportait plus cet endroit. Elle me fit une courte description de sa personne qui m’a semblé sincère. Mignonne, c’est comme cela qu’elle se qualifiait, mais atteinte dès son plus jeune âge d’une poliomyélite qui a déformé à tout jamais sa démarche. Elle me suppliait de venir la chercher et qu’elle serait prête alors à se soumettre à tous mes désirs… Je dois vous avouer mon embarras d’alors. Bien sûr, il n’était pas question de profiter de cette jeune femme, mais comment lui venir en aide ? Et le pouvais-je ? J’ai repoussé sa proposition de rencontre immédiate en lui promettant de faire sa connaissance plus tard, le temps de réfléchir sur le moyen de la sortir de cette mauvaise passe. Elle a beaucoup pleuré et les mêmes voix lui ont intimé l’ordre de se taire et d’aller dans sa chambre. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles.

 

La solitude et le trouble psychique étaient pour beaucoup le quotidien de l’existence des discrètes auditrices.

 

-   «  Patroc, tu me donnes ton numéro ? » me demande une voix adorablement fluette agrémentée d’un léger cheveu sur la langue.

 

Une longue, très longue conversation s’en est suivie qui a eu raison de la batterie de mon téléphone sans fil (je me suis équipé avec le temps). Le soir suivant et le suivant et encore le suivant nous continuions de nous raconter. Enfin, nous avons convenu d’un endroit pour mettre un visage sur nos longues conversations. C’est au cours d’un diner et en présence de sa sœur (ça casse un peu le côté romantique) que j’ai fait la connaissance de cette illustre inconnue répondant au doux prénom d’Élise. Plus jeune que moi d’une petite sizaine d’années, sa très fine physionomie, son apparente gentillesse et puis une rafraichissante naïveté m’ont fait pencher la tête sur le côté, un peu comme un oiseau ou un chien.

Quelque chose était entrain de se passer au plus profond de mon agencement atomique…

 

C’était il y a vingt-quatre ans. Vingt-quatre années de bonheur nous séparent aujourd’hui du premier appel.

 

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Internet et les Smartphones n’existaient pas alors. Ce réseau fût progressivement envahit par un public très désagréable qui a désagrégé ce type de lien social (avec comme nous l’avons lu précédemment ses avantages et ses inconvénients). Ces jeunes garçons enfermés dans un style de vie bien étroit avec ses codes et son vocabulaire ne dépassant pas les trois cent mots, ont eu vite raison de ce moyen de communication.

 

À la lecture de ce récit, ne serions-nous pas tenté de croire que le bonheur peut-être aussi simple qu’un coup de fil… n’est-il pas ?

 

 

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Commentaires
B
De fil en aiguille, je suis arrivée ici. Et j'ai lu cet article qui m'a fait faire un bon... Disons.... Pfff...1985 peut être? Oh ce doit être ça, j'avais 15 ans. Combien d'heures, de samedis soir avons nous passé avec mon amie Delphine dans la cabine en bas de chez elle pour appeler le réseau. Nous étions jeunes et moqueuses. Nous faisions ça de la cabine car nos parents n'étaient pas d'accord (avec le recul et une fille de 16 ans, je comprends mieux le danger). Nous avons, il me semble, rencontré des personnes mais je ne saurais en donner les détails. Des rendez vous sur la prom des anglais, de fausses descriptions de nos personnes pour observer sans être reconnues. <br /> <br /> Merci pour ces souvenirs d'un autre âge. Je l'avais oublié cet ancêtre de Msn.
P
Merci pour ton message et ta patiente lecture !Touchant effectivement de converser avec un ancien du réseau...
C
Oh Patroc, ce réseau je l'ai connu et tu es la deuxième personne cette semaine que je croise et qui ait connu ça ! <br /> <br /> C'est vraiment curieux et troublant ...Remonter deux fois sa vie en quelques jours, c'est un peu déstabilisant <br /> <br /> Tu verras le témoignage de cet homme en commentaire sur mon avant dernier article et comme toi, il y parle de la violence finale ...Je n'ai pas connu cette période mais bien les débuts qui étaient tout à fait nouveaux pour beaucoup ....Un avant goût du net !<br /> <br /> Au départ, c'etait bien sur le réseau de l'horloge parlante que se passait tous ces coups de fil et gratuits en plus <br /> <br /> Comme toi, ce reseau a été un la cause d'un grand changement de ma vie et j'ai quitté Paris peu après !<br /> <br /> Comme quoi, tout a du bon et du mauvais mais jamais je ne renierais les émotions et fous rires dus à ce réseau pas plus qu'au net !<br /> <br /> Merci de cet article ;)
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  • Des petites histoires basées sur des faits réels ou des fantasmes... Des photos ou des dessins accompagnent ces textes courts, des livres que j'ai aimé ou des poésies et puis des citations pour récréation et de la philosophie pour de la réflexion...
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